dimanche 18 février 2018

Blanquer à l'éducation nationale : gare au réveil !



Voilà maintenant plusieurs mois que je n'avais pas repris le clavier pour alimenter ce blog. Et les derniers articles étaient davantage consacrés à mes récentes lectures qu'à l'expression de mes analyses de l'actualité. Je dois reconnaître que mon engagement local tend à s'intensifier et occupe donc une place de plus en plus grande dans mon emploi du temps. Emploi du temps déjà bien rempli par mon activité professionnelle de contrôleur de gestion ainsi que par les cours que je dispense à l'université et à l'école de commerce de Grenoble.

2017 aura été une année électorale importante avec la présidentielle suivie des législatives. Je ne me suis pas spécialement exprimé sur ce sujet ici dans la mesure où beaucoup de choses ont déjà été dites sur l'irruption de candidats soi-disant neufs et l'avènement d'un prétendu nouveau monde. Pour faire court, je considère qu'il s'agit là d'une illusion, pour ne pas dire d'une véritable escroquerie, et que rien ne ressemble plus au nouveau monde que l'ancien, avec la rémanence des vieilles méthodes et la poursuite des politiques libérales du passé. Gageons que nos concitoyens se rendront rapidement compte de la supercherie, en espérant que cette prise de conscience ne soit toutefois pas trop tardive.

Nous aurons certainement d'autres occasions de revenir sur la politique menée par Emmanuel Macron et notamment sur sa capacité à faire diversion grâce à une communication plutôt bien maîtrisée. Je souhaite aujourd'hui m'intéresser plus particulièrement à son ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer et à ses récentes réformes. Incontestablement le ministre est à l'heure actuelle un maillon fort du gouvernement et bénéficie d'une certaine aura, à la fois auprès des sympathisants de gauche et de droite. Convenons toutefois que le fait de succéder à Najat Vallaud-Belkacem n'est très certainement pas étranger au phénomène.

Les premiers mois de Blanquer rue de Grenelle se sont donc passés donc sans accroc majeur. Mieux, celui-ci a su imposer sa marque en revenant aux fondamentaux et à une logique d'instruction publique plus en phase avec les aspirations des Français, à l'opposé du pédagogisme ambiant de ces dernières années. Pensée que je défends pour ma part depuis longtemps.

Pour dire vrai, j'ai également été séduit par les premières mesures mises en œuvre suite à sa nomination : détricotage de la réforme du collège, dédoublement des classes de CP et CE1, aides aux devoirs … Pour autant, cette rupture avec le quinquennat précédent, qui lui a valu le surnom de "ctrl-z", ne doit pas conduire à un aveuglement béat. Bien au contraire car un examen plus minutieux de la matérialité des annonces fait apparaître une réalité quelque peu différente.

Et à ce niveau les exemples ne manquent malheureusement pas. Si les intentions sont louables, et j'en approuve un certain nombre, leur concrétisation est parfois plus hasardeuse. Clairement le retour des classes bilangues et de l'enseignement du latin et du grec est une très bonne chose mais cela s'est toutefois fait sans rétablissement des moyens dédiés qui avaient été supprimés. De même, le dédoublement des classes de CP et CE1 est une excellente idée qu'il faut généraliser à l'ensemble des établissements mais sans les écueils actuels (problème de place dans les écoles, fermetures de classes en milieu rural pour réallouer les postes en zones prioritaires …). Bref, de manière générale, il faut veiller à ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul.

Pour l'heure, Jean-Michel Blanquer fait la course en tête sans réelle contestation, l'opposition LR restant silencieuse, engluée dans ses rivalités internes. Mais le momentum du ministre risque de ne pas durer lorsque les réformes plus profondes vont se présenter. C'est d'ailleurs le cas avec les annonces autour du futur baccalauréat avec un examen allégé mêlant contrôle continu, grand oral et quatre épreuves écrites.

La contestation lycéenne est aujourd'hui limitée et nombre de leaders politiques se laissent porter par la vague. Chacun peut admettre que le fonctionnement de cet examen final et l'articulation lycée-enseignement supérieur ne sont pas satisfaisants. Pour autant, je crois que le bac est un bouc-émissaire tout trouvé permettant de s'affranchir d'une réflexion plus profonde. Incontestablement le niveau d'exigence au bac a considérablement baissé depuis de (trop) nombreuses années, motivé notamment par le souhait illusoire et contre-productif d'amener 80 % d'une classe d'âge au niveau du bac. Plus largement, et je ne peux que le constater avec mes étudiants, c'est le niveau général des élèves qui a régressé. C'est donc l'ensemble du cursus qu'il faut revoir, depuis la primaire avec un retour aux enseignements fondamentaux (lire, écrire, compter) jusqu'à l'université avec la mise en place assumée d'une réelle sélection à l'entrée.

Pour ce qui concerne plus particulièrement de l'examen du bac, puisque c'est de cela dont il s'agit, je dois avouer que pour moi la réforme proposée ne va pas dans le bon sens. Tout d'abord, la réduction du nombre d'épreuves me paraît être dommageable puisque cela revient à réduire l'effort de révision et de travail demandé aux candidats tout en créant une distorsion supplémentaire avec le système de partiels qui existe dans l'enseignement supérieur.
Ensuite, la fin des sections actuelles (S, ES, L), c'est-à-dire finalement la création d'une multitude de combinaisons et donc de parcours différents, tend à complexifier la lisibilité du diplôme tout en mettant à mal la cohésion et l'unité au sein des classes.
Enfin, la mise en place du contrôle continu est peut-être l'aspect le plus fondamental et le plus néfaste de cette réforme. En effet, ce système conduit à remettre en cause le caractère national du diplôme et donc à instaurer une rupture d'égalité, à la fois entre établissements mais également entre élèves. Dit autrement, cela revient à avoir un bac qui a une valeur différente selon que l'on se trouve au lycée Henri IV à Paris ou au lycée Saint-Exupéry dans les quartiers nord de Marseille.

Cette réforme du bac s'inscrit ainsi dans une logique plus large d'autonomisation accrue des établissements qui est actuellement en cours et qui va se développer. Si le fait d'accorder davantage de marge de manœuvre aux directeurs et autres proviseurs afin de s'adapter aux spécificités locales peut paraître séduisant, je crains au contraire que le remède soit pire que le mal. De fait, cela signifie la mort de l'égalité républicaine avec un socle commun d'apprentissage au profit d'un accroissement des inégalités entre établissements aisés qui continueront à assurer une formation de qualité et établissements des zones prioritaires qui chercheront eux à limiter la casse.

Ne soyons pas naïfs, ces inégalités existent déjà aujourd'hui. Nul ne peut le contester. Mais doit-on pour autant baisser les bras en institutionnalisant cet état de fait ? Ne devrait-on pas au contraire chercher à lutter contre ce phénomène en donnant à chacun les moyens de réussir, afin justement de mettre un terme à ces pernicieuses prédispositions sociales ?