Les vacances étant propices à la lecture, nouvelle recension d’un essai politico-économique signé Agnès Verdier-Molinié. Pour être franc, je partais avec un a priori négatif sur l’ouvrage qui s’explique par la personnalité et le positionnement de l’auteure. En effet, ayant lu par le passé plusieurs interviews données par la directrice de l’IFRAP, je trouvais ses propos plutôt caricaturaux et d’obédience beaucoup trop libérale à mon goût. Toutefois, j’ai récemment regardé quelques vidéos d’entretiens à l’occasion de la sortie de ce livre et j’ai trouvé le ton plus mesuré, plus nuancé. Peut-être que le temps a fait son œuvre, me faisant évoluer sur mes convictions (j’y reviendrai d’ailleurs probablement dans un futur article) mais toujours est-il que j’ai cédé à la tentation face à ce bouquin, la mise en avant de propositions concrètes ayant achevée de me convaincre.
Avant de rentrer dans les détails, commençons par préciser que cet essai est certes documenté et chiffré avec de nombreuses annexes mais qu’il reste pourtant largement accessible à tout un chacun. Le découpage proposé par grandes thématiques débutant par une partie de constats, de contexte pour finir par des propositions permet de faciliter la lecture. C’est d’ailleurs l’un des aspects qui m’a attiré et particulièrement plu. Cinq sujets, cinq enjeux, cinq murs tels que qualifiés par l’auteure sont détaillés (la dette, la désindustrialisation, les normes, l’assistanat, l’insécurité) et se voient mis en perspective de dix solutions chacune, soit un total de cinquante préconisations mises en avant par Agnès Verdier-Molinié.
Dès l’introduction, les bases sont posées et l’on entre directement dans le vif du sujet, à savoir que la situation du pays est dégradée et s’est largement dégradée avec le temps notamment d’un point de vue économique et financier. La directrice de l’IFRAP considère pour autant que rien n’est joué et que les choses peuvent être améliorées en prenant les problèmes à bras le corps. Elle évoque d’ailleurs la menace, réelle ou fantasmée, de l’intervention du FMI qui serait bien plus violente que ses préconisations pour engager le lecteur à agir. Un peu gros diront certains et pourtant. Force est de constater que la situation économique de notre pays est loin d’être florissante et que celle-ci tend à se détériorer. Les annonces passées et futures, en particulier budgétaires, abondent clairement en ce sens et chacun sent bien que des efforts probablement importants vont nous être demandés.
Voyons maintenant, sans entrer toutefois dans le
détail des constats et solutions, ce que nous raconte Agnès Verdier-Molinié. Dans
la partie relative à la dette, son cheval de bataille de tout temps, rien de
très nouveau. Les chiffres sont toutefois parlants et un a particulièrement retenu
mon attention : cela fait 50 ans que notre pays n’a pas connu de budget
équilibré donc autrement dit, 50 ans que notre déficit s’accumule. Sa
conclusion, sans réelle surprise, est qu’il faut rapidement chercher à faire
des économies. Elle propose ainsi, entre autres, un vaste plan d’économies de
110 milliards d’euros d’ici 2029, un report à 66 ans de l’âge de départ à la
retraite en 2033 ou encore de réduire de 235 000 le nombre d’agents
publics. Rien que de très classique venant de l’IFRAP et de ce courant de
pensée in fine.
Si je ne suis pas forcément adepte de cette potion
libérale dans son intégralité, je ne peux qu’aller dans le sens de certaines
mesures qui me paraissent de bon sens : réduction du millefeuille administratif
notamment par la suppression des doublons entre État et collectivités ou entre
collectivités, baisse sensible du nombre de fonctionnaires, suppression
ou fusion des opérateurs de l’État dont les budgets sont parfois/souvent
inversement proportionnels à leur utilité et efficacité.
Par ailleurs, deux propositions
méritent pour moi d’être creusées voire d’être soumises au débat public. La
première est la mise en place d’une allocation sociale unique plafonnée à 90%
du SMIC net (économie de 12 milliards d'euros) permettant d’éviter le non-recours, de limiter les coûts
de gestion (économie de 5 milliards d’euros) et de simplifier nos multiples
dispositifs d’aides. N’ayant pas de connaissances suffisantes à ce stade,
difficile pour moi d’avoir un avis ferme sur le sujet. Pour autant, il est
indéniable que notre pays possède un nombre très important d’aides différentes auprès
d’organismes divers conduisant à multiplier la paperasse, rendant complexe leur
lisibilité et décourageant certains de les solliciter.
La seconde, qui n’est
pas une solution avancée en tant que telle, consiste à s’interroger sur les
services publics nécessaires à l’heure actuelle et le statut de fonctionnaire. L’intention
sous-jacente est claire bien sûr mais au-delà la question mériterait d’être
débattue. En particulier, les agents des collectivités territoriales ont-ils
(tous) vocation à avoir le statut de fonctionnaire ? Quels services doivent
nécessairement être sous contrôle public ?
Arrêtons-nous à présent
sur le chapitre relatif aux normes. On pourrait la résumer ainsi comme le
disait très justement Georges Pompidou : arrêtez d’emmerder les Français.
Là aussi les chiffres sont édifiants. Notre droit est passé de 23 millions
de mots en 2002 à 45 millions en 2024, le code de l’environnement, le code de la
santé publique et le code général des impôts étant ceux qui ont le plus
augmenté en 20 ans. Il est d’ailleurs amusant, si l’on peut dire, de constater
une tendance à l’inflation normative alors même qu’une volonté de
simplification est largement affichée. En l’espèce, la loi climat et résilience
de 2021 (qui instaure notamment les ZFE, DPE et ZAN) en constitue l’exemple
type. D’autant plus incompréhensible lorsque l’on sait que le coût de la complexité
administrative est estimé à environ 100 milliards d’euros par an.
Que faire alors ?
Commencer par évaluer l’impact, en termes administratif et financier, des
normes existantes sur les ménages et les entreprises puis chercher à supprimer
celles qui sont inutiles. En complément, instaurer la principe « une norme
votée, une norme supprimée ». Plus largement, chercher à simplifier le fonctionnement de nos administrations. Là encore beaucoup de
bon sens me direz-vous. Effectivement à première vue mais pas tant que cela visiblement
car dans le cas contraire le problème aurait déjà été réglé depuis longtemps. Pourquoi
alors en sommes-nous donc toujours là ? Peut-être que cette complexité,
qui occupe finalement un grand nombre de personnes en France, permet d’entretenir
tout un microcosme qui y trouve son compte.
Continuons ensuite avec
la partie assistanat, partie particulièrement axée sur le travail. Il y est
ainsi question du temps moyen de travail en France (1 673 h/an et 1 597 heures dans
la fonction publique pour un temps légal annuel de 1 607 h sur une base 35
heures), sensiblement inférieur à la moyenne européenne (1 790 heures). Le
propos étant ici de suggérer de travailler plus longtemps, chaque année mais également
au cours de la vie en développant l’emploi des jeunes et des seniors. Il est d’ailleurs
signalé, ce qui n’est finalement pas faux, que le différentiel avec la moyenne européenne
est facilement comblable puisque cela correspond à 117 h par an soit environ 2
heures par semaine. Un volume de travail supplémentaire permettant
ainsi de dynamiser notre économie et donc de contribuer davantage au
financement de notre modèle social.
L’auteure revient d’ailleurs
longuement sur ce fameux modèle social très développé en France avec environ 60
aides sociales non contributives sous critères de ressources (RSA, ARS, AAH,
minimum vieillesse, allocations logement …) pour environ 140 milliards d’euros
par an. Si le principe de solidarité n’est pas remis en cause, à juste titre pour
moi, il n’en reste pas moins que ce modèle est contesté à la fois dans sa
générosité (pas de réelle contrepartie demandée, octroi aux étrangers sans condition
de durée de résidence …) et sa complexité (multiples organismes, critères
différents …). Face à cela, la proposition de regrouper toutes ces aides en une
allocation sociale unique gérée par Bercy permettrait d’éviter le non-recours
(système de distribution automatique par le biais d’un crédit d’impôt) et de
faire des économies de gestion (5 milliards d’euros). En y ajoutant un
plafonnement à 90 % du SMIC, soit environ 1 300 euros, alors une économie supplémentaire
de 12 milliards serait possible. Comme je l’indiquais précédemment, je n’ai pas
d’avis tranché sur ce point mais présenté ainsi, l’idée parait séduisante. A
voir malgré tout les effets négatifs potentiels de cette mesure.
En outre, la question
de la gratuité des services et donc par extension leur financement par le
contribuable ou l’usager est posée. Vaste débat que celui-ci, notamment dans
les collectivités territoriales où l’usager est souvent peu mis à contribution.
C’est un sujet qui me tient à cœur et sur lequel je me retrouve souvent isolé puisque
je considère que l’usager a vocation à supporter une partie significative du coût
du service qu’il utilise et suis donc opposé par principe au concept de
gratuité. Pour aller plus loin, je suis également opposé aux écarts massifs et
démesurés de tarifs de services (cantine, accueil périscolaire par exemple). S’il
me parait normal que certains paient davantage que d’autres, il n’est en
revanche pas entendable que le gap soit considérable et que certains ne payent
presque rien quand d’autres doivent débourser des sommes conséquentes pour un
service identique, ces derniers étant doublement pénalisés par le tarif et la
fiscalité. Par ailleurs, et comme l’indique Agnès Verdier-Molinié, la gratuité
entraîne une déresponsabilisation de l’individu qui perd de vue le coût et donc
la valeur du service.
La fin de l’essai est consacrée
au thème de l’insécurité. Je ne m’arrêterais ici que sur trois aspects parmi
tous ceux évoqués qui m’ont semblé sortir de l’ordinaire. Enfin pas vraiment
pour le premier dans la mesure où c’est un sujet certes plusieurs fois évoqué
mais sans que rien ne soit réellement fait pour autant. Il s’agit des sommes
astronomiques (150 à 200 milliards depuis 2000) déversées en faveur des quartiers
politique de la ville (QPV) ou autrement dit les quartiers défavorisés. Tout
cet argent pour quels résultats ? Réelle amélioration des conditions de
vie, baisse de la pauvreté, réduction de l’insécurité ? Rien de tout cela
malheureusement ou alors clairement pas à la hauteur des sommes engagées. Pourquoi
donc continuer à remplir ce tonneau des Danaïdes si ce n’est finalement
pour acheter une sorte de paix sociale dans ces quartiers ?
Le second point concerne
les problématiques de récidive très importante en France et de la surpopulation
carcérale. Cet état de fait ne concerne évidemment pas uniquement notre pays
mais reconnaissons que nous sommes particulièrement touchés par ce phénomène.
Pire, ces deux aspects, dans une certaine mesure, s’alimentent l’un l’autre. En
effet, faute de place en prison, les courtes peines sont aménagées pour ne pas
surcharger davantage les centres existants ce qui tend à réduire l’impact de la
sanction et donc de limiter la propension à recommencer. Le cas des Pays-Bas
est ainsi évoqué avec un système développant des courtes peines de prison
systématiquement exécutées, l’idée étant que la certitude de la peine joue un
rôle dissuasif. Un exemple peut-être à suivre. En tout cas il est clair que davantage
de moyens doivent être alloués à la Justice afin d’une part d’accélérer le
rendu des décisions et d’autre part de construire davantage de places de
prison. Ajoutons également qu’une plus grande fermeté ne serait pas de trop.
Le dernier point que je
souhaitais mentionner a trait aux fameuses OQTF (obligations de quitter le
territoire français). Beaucoup d’encre à couler sur ce sujet et il me semble
dommageable que Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, n’ait pas davantage
été soutenu sur ces questions, notamment face à l’Algérie. Cela étant, et pour
revenir aux éléments du livre, l’auteure ne peut que constater que ces OQTF sont
certes largement prononcées mais finalement très faiblement exécutées (7% environ),
ce qui pose évidemment souci. Faut-il hausser le ton face aux pays non
coopératifs pour la délivrance des laisser-passer consulaires ? Absolument.
Faut-il faire pression par le biais de l’octroi de visas ou le versement d’aides
en tout genre ? Sans aucun doute. Arrêtons d’être faible sur le sujet et
de nous excuser sans cesse pour tout et n’importe quoi. De ce point de vue d’ailleurs,
deux aspects mériteraient d’être revus à très court terme : la durée de
rétention administrative de 3 mois actuellement à porter à 18 mois comme en Allemagne
et la réduction des subventions publiques versées à des associations pour l’assistance
juridique accordée aux étrangers irréguliers dans ces centres de rétention (4,4
millions en 2014, 7,4 millions en 2024 et 9,2 millions estimés pour 2025). Pour
être clair, cela consiste pour l’État à verser des fonds à ceux qui déposent
des recours contre les expulsions qu’il a lui-même prononcées. Un comportement somme
toute schizophrénique …
Au final, que retenir
de tout cela ? Comme je l’indiquais en préambule, je partais avec un a
priori négatif. Et pourtant, j’en ressors plutôt séduit. L’essai est clairement
bien documenté et pose les constats de manière globalement objective. Bien que
l’on puisse ne pas être en phase avec l’ensemble des solutions préconisées, ce
qui est in fine mon cas, Agnès Verdier-Molinié a au moins le mérite de proposer
des choses et de mettre la lumière sur des problématiques structurelles de notre
pays. Cela fait d’ailleurs largement écho aux débats sur le projet de loi de
finances 2025 et surtout sur le futur budget pour 2026. Incontestablement des
décisions devront être prises, dans un sens ou dans un autre, pour essayer de
limiter la casse. Libre à chacun ensuite de se forger sa propre opinion … avant
qu’il ne soit trop tard.
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