lundi 21 juillet 2025

Projet de budget : Bayrou dans le vrai ou à côté de la plaque ?

Voilà près d’une semaine que le premier ministre a tenu sa conférence de presse visant à présenter ses pistes en perspective du budget 2026. Au programme, un effort de 43,8 milliards d'euros avec pour objectif de ramener le déficit à 4,6 % du PIB. S’il s’agit pour l’heure de propositions qui ont vocation à être discutées au Parlement, il n’en reste pas moins qu’une grande partie a fait polémique, provoquant les ires des partis d’opposition (mais pas que).

Avant d’aller plus loin, rappelons que je suis loin d’être un partisan d’Emmanuel Macron ou de François Bayrou et que je n’ai pas spécialement d’accointances avec Renaissance ou le Modem. Qui plus est, je crois profondément à la vocation interventionniste de l’État et à la nécessité de dispositifs de solidarité. Enfin, je suis foncièrement attaché à la responsabilité individuelle, à la valeur travail et au mérite.

Ces bases étant posées, que penser alors de ces premières annonces ? Utopie, fumisterie escroquerie ? Chacun ira évidemment de son commentaire en fonction de sa sensibilité et de ses intérêts mais contre toute attente je dois reconnaître que cette première version, qui sera très certainement éloignée de la version finale, n’est pas si mauvaise. Alors bien sûr tout n’est pas parfait, certains aspects sont laissés de côté et d’autres ne sont pas à la hauteur. Personne ne dira le contraire mais n’oublions pas le contexte dans lequel ces propositions sont avancées : absence de majorité à l’assemblée, épée de Damoclès de la censure, élections municipales en mars 2026 et présidentielles/législatives en 2027.

Indéniablement des efforts seront demandés. Cela ne me réjouit bien évidemment pas puisqu’impacté au premier chef par différentes mesures. Mais d’autres le seront également et a priori tout un chacun sera concerné ci ou là. A-t-on d'ailleurs réellement le choix ? N’a-t-on justement pas trop attendu, ménageant la chèvre et le chou pendant de très (trop) nombreuses années ? Ne rien faire, ou à la marge, serait-il réellement raisonnable au vu de notre situation économique et financière ? Au risque que d’autres, FMI, commission européenne ou BCE (la fameuse troïka) ne s’en mêlent et nous privent de faire nos propres choix ?

Clairement non tant la potion serait bien pire que celle qui nous est proposée. Comme je l’indiquais précédemment, on peut constater quelques trous significatifs dans la raquette qui permettraient de substantielles économies (plusieurs milliards d’euros selon où l’on place le curseur) : pas de privatisation (même partielle) de l’audiovisuel public, pas de baisse de notre contribution à l’Union européenne ou du budget relatif à l’aide au développement, pas de délai de carence pour les étrangers quant à l’obtention d’aides sociales, aucune simplification du millefeuille administratif …
De plus, y compris sur certaines mesures envisagées, les efforts sont timides : réduction de seulement 3 000 postes de fonctionnaires, effort insuffisant sur les opérateurs d’État. Pire encore, les dépenses de l’État en 2026 ne diminueront pas réellement puisqu’il s’agit uniquement de limiter la hausse prévue à environ 30 milliards d’euros au lieu du double. Et dans le même temps les impôts vont eux bel et bien augmenter.

Cela étant, et si le débat parlementaire permettait d’intégrer ces éléments, faut-il crier au scandale sur ce qui a été avancé par ailleurs ?

- Augmenter le plafond des franchises médicales de 50 € à 100 € : rien n’est malheureusement gratuit en ce bas monde, santé et médecine incluses. Ayant toujours été favorable au paiement des prestations par l’usager plutôt que le contribuable, cela ne me choque pas dans l’absolu. A noter d’ailleurs que ce reste à charge de 100 € n’est rien en comparaison du vrai coût supporté par la société.

- Instauration d’une année blanche fiscale avec gel des barèmes, des prestations sociales et des salaires publics : cela m’embête évidemment car me fera payer davantage d’impôts mais c’est une mesure simple, rapide, efficace qui touchera un grand nombre d’individus sans trop de favoritisme

- Économies de 5,3 milliards dans les collectivités : j’entends déjà les élus crier au scandale mais là encore tout le monde doit faire des efforts. On a d’ailleurs vu ces mêmes élus se rattraper sans vergogne sur la taxe foncière pour compenser. Peut-être que ces derniers devraient s’interroger sur l’utilité et la pertinence réelles de l’ensemble de leurs dépenses afin de retrouver quelques marges de manœuvre en se concentrant sur leurs missions premières

- Refonte de l’abattement fiscal de 10 % pour les retraités : typiquement un avantage historique indu qui aurait dû disparaitre depuis longtemps. Le remplacement par un abattement forfaire de 2 000 euros permettra d’ailleurs d’épargner les retraités les plus précaires

- Suppression de deux jours fériés : probablement la mesure qui me chagrine le plus, bien qu’objectivement entendable si l’on raisonne de manière rationnelle. Gageons néanmoins que celle-ci servira de monnaie d’échange et ne verra probablement pas le jour

- Mise en place d’une contribution de solidarité sur les plus fortunés : à voir ce qu’il en retournera vraiment mais sans aucun doute indispensable et nécessaire dans la mesure où chacun doit prendre sa part des efforts collectifs

- Création d’une allocation sociale universelle et simplification des procédures bureaucratiques : aspects déjà évoqués par ailleurs mais piste à creuser dans la mesure où notre système actuel est bien trop foisonnant et complexe

Comme je m’en amusais le week-end dernier lors d’un repas entre amis, c’est moi le souverainiste-interventionniste qui prenais la défense de Bayrou le libéral-européiste. Le monde à l’envers … Plus sérieusement, au vu des circonstances, le premier ministre n’a rien à perdre dans cette histoire puisque sa tête est mise à prix depuis bien longtemps. Il peut toutefois réussir à corriger quelque peu le tir si tant est que les différents responsables politiques prennent leurs responsabilités. Cela reste toutefois hautement improbable pour ne pas dire impossible tant l’approche des élections des deux prochaines années les incitent à être dans la posture politicienne.
Espérons simplement que de réelles réformes structurelles seront mises en place après 2027 et surtout qu’il ne sera pas trop tard à ce moment-là.

 


 

dimanche 6 juillet 2025

Audiovisuel public : et si l’on posait la question de la privatisation ?

Parmi les serpents de mer de la vie politique française, la question de l’audiovisuel public occupe une bonne place. Nouvel (nouvel, nouvel …) épisode en ce début d’été avec l’examen d’une proposition de loi visant notamment à créer une holding, France Médias, chapeautant France Télévisions, Radio France et l'INA. Une motion de rejet préalable ayant été votée à l’Assemblée nationale, le texte n’a donc pas été examiné et a pris la direction du Sénat au sein duquel il devrait vraisemblablement être approuvé.

Mais avant d’évoquer le fond du texte, reposons un peu de contexte pour mieux comprendre de quoi on parle. Selon l’Arcom, le secteur public de la communication audiovisuelle est composé de 6 organismes que sont France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, l’Institut National de l’audiovisuel (INA), ARTE France, LCP Assemblée nationale - Public Sénat. Les trois premiers sont des sociétés nationales de programme qui concentrent près de 90 % du budget issu de dotations de l’État. Un budget, passé de 3,72 milliards d’euros en 2021 à 3,95 milliards en 2025, qui provient des recettes de la TVA depuis la suppression de la contribution à l’audiovisuel public (redevance télé) en 2022.
Plus concrètement, France Télévisions c’est environ 8 900 salariés pour un budget de 2,7 milliards d’euros et cinq chaines nationales (France 2, France 3, France 4, France 5, franceinfo). Radio France de son côté occupe 4 500 salariés autour de six radios (France Inter, France Culture, France Musique, FIP, Mouv', le réseau ICI, anciennement France Bleu) pour un budget de 700 millions d’euros. Enfin France Médias Monde avec 1 700 salariés, 300 millions d’euros et 3 chaînes (RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya).

Maintenant que les bases sont posées, arrêtons-nous un moment sur ce projet de réforme. L’idée principale est de créer une holding détenue à 100% par l’État, holding qui détiendrait elle-même France Télévisions, Radio France et l'INA avec pour objectif de définir la stratégie de ces médias, d'accélérer les coopérations et d'optimiser la répartition des moyens comme indiqué par la commission de la culture du Sénat. Dit autrement, il s’agit tout à la fois de simplifier la gouvernance de ces entreprises, de renforcer les synergies et de maximiser les économies d’échelle.
N'étant pas un spécialiste de cette proposition de loi, je ne suis donc pas en mesure d’interpréter d’éventuels coups de billards à plusieurs bandes ou de volontés cachées. Pour autant, tel que présenté précédemment et au vu du contexte actuel, il ne me semble pas déraisonnable de chercher à optimiser le fonctionnement de ce service public en s’attaquant aux doublons de structure, de bureaux, bref en cherchant à mutualiser les frais fixes.

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin diront certains ? Bonne question en effet.
Au-delà des doublons de structure, n’existe-t-il pas des doublons au sein même des chaînes ou des radios, en termes de programmes, de public visé, de positionnement ? Plus que des rapprochements, des fusions ne seraient-elles pas envisageables afin de rationaliser l’organisation de ces entreprises ?

Et si l’on allait encore plus loin ?
L’ensemble de ces sociétés ont-elles réellement vocation à être publiques ? L’État a-t-il vraiment besoin de contrôler autant de médias publics ? Mieux, est-ce véritablement son rôle ? S’il est notamment dans ses prérogatives de garantir le pluralisme, celles-ci ne pourraient-elles pas être mises en œuvre au travers d’organismes de contrôle ?

Indéniablement je crois que ces questions devraient faire l’objet d’un réel débat public, à la fois au Parlement et plus largement au sein de la société, en mettant sur la table l’ensemble des éléments à considérer : financement, participation aux efforts d’économies, parts de marché, concurrence des plateformes en ligne … Cela afin que la question de la privatisation soit abordée, débattue et tranchée démocratiquement.

samedi 3 mai 2025

Face au mur, d’Agnès Verdier-Molinié

Les vacances étant propices à la lecture, nouvelle recension d’un essai politico-économique signé Agnès Verdier-Molinié. Pour être franc, je partais avec un a priori négatif sur l’ouvrage qui s’explique par la personnalité et le positionnement de l’auteure. En effet, ayant lu par le passé plusieurs interviews données par la directrice de l’IFRAP, je trouvais ses propos plutôt caricaturaux et d’obédience beaucoup trop libérale à mon goût. Toutefois, j’ai récemment regardé quelques vidéos d’entretiens à l’occasion de la sortie de ce livre et j’ai trouvé le ton plus mesuré, plus nuancé. Peut-être que le temps a fait son œuvre, me faisant évoluer sur mes convictions (j’y reviendrai d’ailleurs probablement dans un futur article) mais toujours est-il que j’ai cédé à la tentation face à ce bouquin, la mise en avant de propositions concrètes ayant achevée de me convaincre.

Avant de rentrer dans les détails, commençons par préciser que cet essai est certes documenté et chiffré avec de nombreuses annexes mais qu’il reste pourtant largement accessible à tout un chacun. Le découpage proposé par grandes thématiques débutant par une partie de constats, de contexte pour finir par des propositions permet de faciliter la lecture. C’est d’ailleurs l’un des aspects qui m’a attiré et particulièrement plu. Cinq sujets, cinq enjeux, cinq murs tels que qualifiés par l’auteure sont détaillés (la dette, la désindustrialisation, les normes, l’assistanat, l’insécurité) et se voient mis en perspective de dix solutions chacune, soit un total de cinquante préconisations mises en avant par Agnès Verdier-Molinié.

Dès l’introduction, les bases sont posées et l’on entre directement dans le vif du sujet, à savoir que la situation du pays est dégradée et s’est largement dégradée avec le temps notamment d’un point de vue économique et financier. La directrice de l’IFRAP considère pour autant que rien n’est joué et que les choses peuvent être améliorées en prenant les problèmes à bras le corps. Elle évoque d’ailleurs la menace, réelle ou fantasmée, de l’intervention du FMI qui serait bien plus violente que ses préconisations pour engager le lecteur à agir. Un peu gros diront certains et pourtant. Force est de constater que la situation économique de notre pays est loin d’être florissante et que celle-ci tend à se détériorer. Les annonces passées et futures, en particulier budgétaires, abondent clairement en ce sens et chacun sent bien que des efforts probablement importants vont nous être demandés.

Voyons maintenant, sans entrer toutefois dans le détail des constats et solutions, ce que nous raconte Agnès Verdier-Molinié. Dans la partie relative à la dette, son cheval de bataille de tout temps, rien de très nouveau. Les chiffres sont toutefois parlants et un a particulièrement retenu mon attention : cela fait 50 ans que notre pays n’a pas connu de budget équilibré donc autrement dit, 50 ans que notre déficit s’accumule. Sa conclusion, sans réelle surprise, est qu’il faut rapidement chercher à faire des économies. Elle propose ainsi, entre autres, un vaste plan d’économies de 110 milliards d’euros d’ici 2029, un report à 66 ans de l’âge de départ à la retraite en 2033 ou encore de réduire de 235 000 le nombre d’agents publics. Rien que de très classique venant de l’IFRAP et de ce courant de pensée in fine.
Si je ne suis pas forcément adepte de cette potion libérale dans son intégralité, je ne peux qu’aller dans le sens de certaines mesures qui me paraissent de bon sens : réduction du millefeuille administratif notamment par la suppression des doublons entre État et collectivités ou entre collectivités, baisse sensible du nombre de fonctionnaires, suppression ou fusion des opérateurs de l’État dont les budgets sont parfois/souvent inversement proportionnels à leur utilité et efficacité.
Par ailleurs, deux propositions méritent pour moi d’être creusées voire d’être soumises au débat public. La première est la mise en place d’une allocation sociale unique plafonnée à 90% du SMIC net (économie de 12 milliards d'euros) permettant d’éviter le non-recours, de limiter les coûts de gestion (économie de 5 milliards d’euros) et de simplifier nos multiples dispositifs d’aides. N’ayant pas de connaissances suffisantes à ce stade, difficile pour moi d’avoir un avis ferme sur le sujet. Pour autant, il est indéniable que notre pays possède un nombre très important d’aides différentes auprès d’organismes divers conduisant à multiplier la paperasse, rendant complexe leur lisibilité et décourageant certains de les solliciter.
La seconde, qui n’est pas une solution avancée en tant que telle, consiste à s’interroger sur les services publics nécessaires à l’heure actuelle et le statut de fonctionnaire. L’intention sous-jacente est claire bien sûr mais au-delà la question mériterait d’être débattue. En particulier, les agents des collectivités territoriales ont-ils (tous) vocation à avoir le statut de fonctionnaire ? Quels services doivent nécessairement être sous contrôle public ?

Arrêtons-nous à présent sur le chapitre relatif aux normes. On pourrait la résumer ainsi comme le disait très justement Georges Pompidou : arrêtez d’emmerder les Français. Là aussi les chiffres sont édifiants. Notre droit est passé de 23 millions de mots en 2002 à 45 millions en 2024, le code de l’environnement, le code de la santé publique et le code général des impôts étant ceux qui ont le plus augmenté en 20 ans. Il est d’ailleurs amusant, si l’on peut dire, de constater une tendance à l’inflation normative alors même qu’une volonté de simplification est largement affichée. En l’espèce, la loi climat et résilience de 2021 (qui instaure notamment les ZFE, DPE et ZAN) en constitue l’exemple type. D’autant plus incompréhensible lorsque l’on sait que le coût de la complexité administrative est estimé à environ 100 milliards d’euros par an.
Que faire alors ? Commencer par évaluer l’impact, en termes administratif et financier, des normes existantes sur les ménages et les entreprises puis chercher à supprimer celles qui sont inutiles. En complément, instaurer la principe « une norme votée, une norme supprimée ». Plus largement, chercher à simplifier le fonctionnement de nos administrations. Là encore beaucoup de bon sens me direz-vous. Effectivement à première vue mais pas tant que cela visiblement car dans le cas contraire le problème aurait déjà été réglé depuis longtemps. Pourquoi alors en sommes-nous donc toujours là ? Peut-être que cette complexité, qui occupe finalement un grand nombre de personnes en France, permet d’entretenir tout un microcosme qui y trouve son compte.

Continuons ensuite avec la partie assistanat, partie particulièrement axée sur le travail. Il y est ainsi question du temps moyen de travail en France (1 673 h/an et 1 597 heures dans la fonction publique pour un temps légal annuel de 1 607 h sur une base 35 heures), sensiblement inférieur à la moyenne européenne (1 790 heures). Le propos étant ici de suggérer de travailler plus longtemps, chaque année mais également au cours de la vie en développant l’emploi des jeunes et des seniors. Il est d’ailleurs signalé, ce qui n’est finalement pas faux, que le différentiel avec la moyenne européenne est facilement comblable puisque cela correspond à 117 h par an soit environ 2 heures par semaine. Un volume de travail supplémentaire permettant ainsi de dynamiser notre économie et donc de contribuer davantage au financement de notre modèle social.
L’auteure revient d’ailleurs longuement sur ce fameux modèle social très développé en France avec environ 60 aides sociales non contributives sous critères de ressources (RSA, ARS, AAH, minimum vieillesse, allocations logement …) pour environ 140 milliards d’euros par an. Si le principe de solidarité n’est pas remis en cause, à juste titre pour moi, il n’en reste pas moins que ce modèle est contesté à la fois dans sa générosité (pas de réelle contrepartie demandée, octroi aux étrangers sans condition de durée de résidence …) et sa complexité (multiples organismes, critères différents …). Face à cela, la proposition de regrouper toutes ces aides en une allocation sociale unique gérée par Bercy permettrait d’éviter le non-recours (système de distribution automatique par le biais d’un crédit d’impôt) et de faire des économies de gestion (5 milliards d’euros). En y ajoutant un plafonnement à 90 % du SMIC, soit environ 1 300 euros, alors une économie supplémentaire de 12 milliards serait possible. Comme je l’indiquais précédemment, je n’ai pas d’avis tranché sur ce point mais présenté ainsi, l’idée parait séduisante. A voir malgré tout les effets négatifs potentiels de cette mesure.
En outre, la question de la gratuité des services et donc par extension leur financement par le contribuable ou l’usager est posée. Vaste débat que celui-ci, notamment dans les collectivités territoriales où l’usager est souvent peu mis à contribution. C’est un sujet qui me tient à cœur et sur lequel je me retrouve souvent isolé puisque je considère que l’usager a vocation à supporter une partie significative du coût du service qu’il utilise et suis donc opposé par principe au concept de gratuité. Pour aller plus loin, je suis également opposé aux écarts massifs et démesurés de tarifs de services (cantine, accueil périscolaire par exemple). S’il me parait normal que certains paient davantage que d’autres, il n’est en revanche pas entendable que le gap soit considérable et que certains ne payent presque rien quand d’autres doivent débourser des sommes conséquentes pour un service identique, ces derniers étant doublement pénalisés par le tarif et la fiscalité. Par ailleurs, et comme l’indique Agnès Verdier-Molinié, la gratuité entraîne une déresponsabilisation de l’individu qui perd de vue le coût et donc la valeur du service.

La fin de l’essai est consacrée au thème de l’insécurité. Je ne m’arrêterais ici que sur trois aspects parmi tous ceux évoqués qui m’ont semblé sortir de l’ordinaire. Enfin pas vraiment pour le premier dans la mesure où c’est un sujet certes plusieurs fois évoqué mais sans que rien ne soit réellement fait pour autant. Il s’agit des sommes astronomiques (150 à 200 milliards depuis 2000) déversées en faveur des quartiers politique de la ville (QPV) ou autrement dit les quartiers défavorisés. Tout cet argent pour quels résultats ? Réelle amélioration des conditions de vie, baisse de la pauvreté, réduction de l’insécurité ? Rien de tout cela malheureusement ou alors clairement pas à la hauteur des sommes engagées. Pourquoi donc continuer à remplir ce tonneau des Danaïdes si ce n’est finalement pour acheter une sorte de paix sociale dans ces quartiers ?
Le second point concerne les problématiques de récidive très importante en France et de la surpopulation carcérale. Cet état de fait ne concerne évidemment pas uniquement notre pays mais reconnaissons que nous sommes particulièrement touchés par ce phénomène. Pire, ces deux aspects, dans une certaine mesure, s’alimentent l’un l’autre. En effet, faute de place en prison, les courtes peines sont aménagées pour ne pas surcharger davantage les centres existants ce qui tend à réduire l’impact de la sanction et donc de limiter la propension à recommencer. Le cas des Pays-Bas est ainsi évoqué avec un système développant des courtes peines de prison systématiquement exécutées, l’idée étant que la certitude de la peine joue un rôle dissuasif. Un exemple peut-être à suivre. En tout cas il est clair que davantage de moyens doivent être alloués à la Justice afin d’une part d’accélérer le rendu des décisions et d’autre part de construire davantage de places de prison. Ajoutons également qu’une plus grande fermeté ne serait pas de trop.
Le dernier point que je souhaitais mentionner a trait aux fameuses OQTF (obligations de quitter le territoire français). Beaucoup d’encre à couler sur ce sujet et il me semble dommageable que Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, n’ait pas davantage été soutenu sur ces questions, notamment face à l’Algérie. Cela étant, et pour revenir aux éléments du livre, l’auteure ne peut que constater que ces OQTF sont certes largement prononcées mais finalement très faiblement exécutées (7% environ), ce qui pose évidemment souci. Faut-il hausser le ton face aux pays non coopératifs pour la délivrance des laisser-passer consulaires ? Absolument. Faut-il faire pression par le biais de l’octroi de visas ou le versement d’aides en tout genre ? Sans aucun doute. Arrêtons d’être faible sur le sujet et de nous excuser sans cesse pour tout et n’importe quoi. De ce point de vue d’ailleurs, deux aspects mériteraient d’être revus à très court terme : la durée de rétention administrative de 3 mois actuellement à porter à 18 mois comme en Allemagne et la réduction des subventions publiques versées à des associations pour l’assistance juridique accordée aux étrangers irréguliers dans ces centres de rétention (4,4 millions en 2014, 7,4 millions en 2024 et 9,2 millions estimés pour 2025). Pour être clair, cela consiste pour l’État à verser des fonds à ceux qui déposent des recours contre les expulsions qu’il a lui-même prononcées. Un comportement somme toute schizophrénique …

Au final, que retenir de tout cela ? Comme je l’indiquais en préambule, je partais avec un a priori négatif. Et pourtant, j’en ressors plutôt séduit. L’essai est clairement bien documenté et pose les constats de manière globalement objective. Bien que l’on puisse ne pas être en phase avec l’ensemble des solutions préconisées, ce qui est in fine mon cas, Agnès Verdier-Molinié a au moins le mérite de proposer des choses et de mettre la lumière sur des problématiques structurelles de notre pays. Cela fait d’ailleurs largement écho aux débats sur le projet de loi de finances 2025 et surtout sur le futur budget pour 2026. Incontestablement des décisions devront être prises, dans un sens ou dans un autre, pour essayer de limiter la casse. Libre à chacun ensuite de se forger sa propre opinion … avant qu’il ne soit trop tard.

mardi 15 avril 2025

De l’État de droit à l’état du droit

État de droit : que n’avons nous pas attendu à ce sujet ces dernières semaines. Des propos du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau à la condamnation de Marine Le Pen en première instance, ces trois mots ont récemment occupés le haut de l’affiche, pour le meilleur et pour le pire. Chacun y est allé de son avis, de son interprétation sur le sujet, de l’indignation des uns à la défense des autres.

Sans surprise les propos en question (“L’État de droit, ça n’est pas intangible ni sacré. C’est un ensemble de règles, une hiérarchie des normes, un contrôle juridictionnel, une séparation des pouvoirs. Mais la source de l’État de droit, c’est la démocratie, c’est le peuple souverain.”) ont fait polémique et cela peut-être d’ailleurs à dessein. Au-delà, des décisions de justice récentes ont été largement contestées, parfois à juste titre, pour leur caractère politisé ou leur manque de sévérité pour ne pas dire leur laxisme.

Bien que la Justice soit indépendante dans notre pays, chaque citoyen, en son âme et conscience, est libre d’exprimer réserves et critiques envers les décisions de justice et ce d’autant plus que celles-ci sont rendues au nom du peuple français tel que le prévoit notre constitution. Pourtant, certains considèrent ces mises en causes comme intolérables et relevant du pire populisme, quelques uns se risquant même à parler de sécession. Plus encore, le joker "État de droit" est régulièrement mis en avant pour faire cesser tout débat. Belle preuve d’ouverture d’esprit et de respect du contradictoire que cette forme de censure.
Plus sérieusement, et pour revenir sur les propos du ministre de l’Intérieur, reconnaissons, si l’on dépasse le simple stade de la politique politicienne, que ceux-ci ont le mérite de soulever de vraies questions. Et reconnaissons également que le fond de la déclaration n’est finalement pas totalement inepte. Bien au contraire dans la mesure où cela revient à considérer que nos normes, nos lois ne sont ni figées ni immuables. Qui pourrait d’ailleurs dans ces conditions s’inscrire en faux face à ces évidences ?

Question de rhétorique ? Pas vraiment en réalité. Car en sous-jacent cela questionne les notions de souveraineté populaire d’une part et d’impunité des juges d’autre part. L’État de droit, avec tout le respect qui lui est dû, doit-il alors induire de faire fi de ces aspects, de ne pas s’interroger sur les errements et autres bévues des magistrats ? Indéniablement non et je crois au contraire que c’est lui rendre service que de le remettre régulièrement en cause dans une logique de perfectionnement.

Hiérarchie des normes, politisation des juges, manque de fermeté, dysfonctionnements et lenteurs du système judiciaire … Voilà des sujets qui mériteraient d’être traités sans dogmatisme ni idéologie afin de renforcer la confiance de nos concitoyens dans la justice. Car quoi qu’en pensent certains l’attachement à l’État de droit et à son respect ne doit pas nous empêcher de nous interroger sur le (mauvais) état de notre droit.