vendredi 8 juin 2012

Patron incognito : une expérience à généraliser

Hier soir, M6 diffusait le premier numéro de sa nouvelle émission de télé-réalité : patron incognito. Le concept est simple et consiste à ce qu'un chef d'entreprise soit plongé en immersion dans sa propre société. En somme, il s'agit plus ou moins d'un "vis ma vie d'employé" à destination des patrons.
Après avoir visionné le premier épisode avec Jean-Claude Puerto, PDG de Ucar, je dois reconnaître avoir été séduit par le concept. Certes les images sont à prendre avec recul car il s'agit d'une émission de télé mais plus que le format de l'expérience, c'est bien l'idée en elle-même qui m'intéresse au plus haut point.
 
Il n'aura échappé à personne sur ce blog que je ne porte pas, et c'est un euphémisme, le patronat dans mon coeur. Je dirais même plus que j'ai une fâcheuse tendance à critiquer, à juste titre je crois, les manières de nos grands patrons. En effet, j'ai beaucoup de mal à accepter que des entreprises licencient leurs salariés alors même que leurs dirigeants sont conservés avec des rémunérations démesurées. Pour moi le chef d'entreprise doit être un leader qui sait prend ses responsabilités à l'image d'un capitaine qui sombre avec son navire. Or aujourd'hui, dans la plupart des grandes sociétés, les dirigeants ne sont que des mercenaires débauchés chez la concurrence pour couper dans les dépenses, et en particulier les charges de personnel, pour offrir une rentabilité toujours plus importante à ces requins que sont les actionnaires.
 
La réalité actuelle du monde des affaires est donc complètement à l'opposé de ma conception de l'économie. Ou plus précisément le fonctionnement des grandes entreprises est totalement déconnecté de la vérité du terrain. Si je prends soin de préciser "grande entreprise" c'est qu'il serait malhonnête de mettre tous les patrons dans le même sac. De fait, il n'y a que peu de similarités entre le PDG d'une société cotée et le petit patron de PME puisque seul leur statut de chef d'entreprise les rapproche. Selon moi, et sans démagogie aucune, l'utilité sociale de l'artisan ou du commerçant est sans comparaison possible avec celle d'un directeur général. Si le premier est essentiel à la continuité de son activité, le second est parfaitement interchangeable. D'ailleurs, il n'y a qu'à voir avec quelle vitesse les actionnaires changent de dirigeant en cas de mauvais résultats.
 
Bien évidemment il serait idiot et contre-productif d'accuser le patronat de tous les maux de notre société. Pour autant, je suis convaincu que ceux-ci ont joué un rôle prépondérant dans l'évolution qu'a connu notre pays ces dernières décennies. De fait, leur vision à court terme couplée à une course au profit et à un dogmatisme libéral ont conduit à dévoyer le phénomène de mondialisation pour aboutir à une disparition de notre industrie synonyme de croissance du chômage et de précarisation du travail.
 
En fait, et malgré des effets de communication, les grands patrons se sont enfermés dans des considérations purement comptables en faisant complètement abstraction des conséquences de leurs décisions. Leur objectif est malheureusement devenu uniquement financier dans une optique de satisfaction des marchés financiers et donc des actionnaires. C'est d'ailleurs dans ce contexte que nous avons vu émerger une génération de "jeunes cadres dynamiques" issue de ces si fameuses écoles de commerce : les cost killer. Dans ces institutions de promotion du capitalisme déluré et du libre-échange intégral, on apprend à restructurer les entreprises pour gagner en flexibilité et optimiser son fonctionnement et améliorer ses performances. Ou autrement dit à multiplier les plans sociaux et encourager la précarité pour diminuer les dépenses et verser plus de dividendes.
 
En général, les cours de RH sont assez réduits dans ce genre de formation. Il est d'ailleurs plus souvent question de charges de personnel que de ressources humaines. Et si l'aspect social est abordé, c'est plus souvent sous l'angle d'une contrainte ou d'une entrave que d'un élément de solidarité indispensable à la cohésion de la nation. Pour ces gens là, les salariés ne sont ni plus ni moins qu'une variable d'ajustement parmi tant  d'autres.
 
Comme vous l'aurez sûrement compris, je n'ai que peu d'estime et de considération pour ces personnes. Bien sûr tous les étudiants d'école de commerce ne correspondent pas au portrait que j'en ai dressé, et heureusement. Malgré tout, il faut être conscient que ce sont de telles notions que l'on enseigne à nos jeunes. Après des années d'endoctrinement, comment ne pas devenir alors un adepte de ces principes qui ont cours parmi les puissants ?
 
C'est donc pour éviter ce genre de dérives aux lourdes conséquences que je crois qu'il est indispensable que les dirigeants d'entreprise ne soient pas coupés des réalités. Il me semble impératif que ceux-ci gardent à l'esprit que même la plus petite de leur décision a une incidence parfois énorme sur leurs salariés.
Et quoi de mieux pour ne pas se couper du terrain que d'y retourner de manière régulière ? C'est en ce sens que l'émission de M6 revêt tout son intérêt puisqu'elle permet de montrer que les dirigeants de société ne voient les problèmes que par le bout de la lorgnette.
 
En conséquence, je crois que deux mesures s'imposent à nous.
La première est applicable à court terme du fait des possibilités de recours au pouvoir législatif. Elle consiste à intégrer au sein des formations de gestion un ou plusieurs stages ouvriers. A la différence des stages classiques existants, ces stages ouvriers ont pour objectif de montrer au moins une fois la réalité de la production industrielle en forçant les étudiants à "mettre les mains dans la merde". Cela serait alors l'occasion pour ces jeunes destinés à travailler dans les bureaux de vivre pendant quelques semaines le quotidien, souvent difficile, de ces ouvriers afin de mesurer toute l'ampleur de leurs tâches.
La seconde mesure est certes nettement plus délicate mais est d'autant plus intéressante. Elle se résume finalement à généraliser le concept de cette émission, c'est-à-dire à envoyer les directeurs sur le terrain pour se rendre réellement compte de ce qu'ils demandent à leurs employés.
 
Je ne suis  évidemment pas naïf et je sais donc pertinemment que j'exprime ici des voeux pieux. Malgré tout, je crois profondément que notre pays irait mieux si la frontière entre "conception et exécution", si chère à Frederick Taylor, était moins prononcée. Fortement attaché à la notion de légitimité, je pense que ces expériences seraient très positives pour le patron mais également pour l'employé. Car il est clair que les salariés français souffrent aujourd'hui d'un manque de reconnaissance et de considération qui impacte inévitablement à leur travail.
 
Depuis quelques années maintenant, le concept de lutte des classes tend à revenir sur le devant de la scène. Personnellement, je crois que cette lutte n'a, en vérité, jamais disparue mais que celle-ci s'est atténuée durant les trente glorieuses du fait d'une situation économique favorable. Or en ces temps de crise, les réflexes de caste reviennent logiquement à l'ordre du jour.
Dans l'intérêt de tous, il me semble préférable que cette opposition entre patronat et ouvriers ne prenne pas des proportions trop importantes afin de ne pas dégénérer en conflit ouvert. En ce sens, il est impératif que le gouvernement agisse rapidement sur le partage des richesses afin de rééquilibrer la balance en faveur des salariés. Pour cela de nombreuses solutions existent parmi lesquelles on trouve la mise en place d'un écart maximal des salaires, la revalorisation du SMIC ou encore l'augmentation des impôts sur les plus hauts revenus.
Espérons simplement que le gouvernement socialiste soit à la hauteur des enjeux actuels ...

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