dimanche 21 février 2016

Loi El Khomri : Sarkozy en a rêvé, Hollande l’a fait !

6 mai 2012, François Hollande sort vainqueur de l’élection présidentielle face à Nicolas Sarkozy (51,64 % vs 48,36 %). Son slogan d’alors : » le changement c’est maintenant ». Si certains y ont cru, beaucoup ont vite déchanté face à la cruelle réalité des faits. Comment parler de changement alors que la politique économique, sociale, européenne … du nouveau président socialiste s’inscrit dans la droite lignée de son prédécesseur ?
Hollande, Sarkozy, même combat ? M’étant moi-même largement gaussé sur le sujet, je ne reviendrais pas ici sur cette dommageable continuité idéologique.

Mais tout vient à point à qui sait attendre comme dit le fameux adage. Et s’il aura fallu attendre près de quatre ans après le début du mandat, il semblerait que le changement pointe finalement le bout de son nez. Ne voyez ici aucune allusion à ce triste remaniement sans autre intérêt que celui des personnalités entrantes qui ont sacrifié leurs convictions pour un maroquin. Celui-ci n’est finalement qu’une mise en œuvre à l’échelle gouvernementale des petits calculs politiciens réalisés par François Hollande du temps où il était à la tête du PS. Ou autrement dit, une nouvelle illustration d’un consensus mou ménageant tout à la fois la chèvre et le chou. 

Non je parle d’un vrai changement. Un changement (ou plus exactement une accélération) digne du tournant libéral de 1983. Alors évidemment dit comme cela plusieurs évènements viennent à l’esprit mais il sera question ici du dernier en date, à savoir la loi El Khomri sur la réforme du droit du travail. Projet qui n’est, in fine, qu’une étape supplémentaire dans la remise en cause de notre modèle social. Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, avait ouvert la brèche le premier avec sa loi adoptée par le biais du 49-3. Puis Robert Badinter, illustre homme de gauche, avait préparé le terrain en janvier dernier avec son rapport sur le code du travail. La ministre du travail, Myriam El Khomri, ne fait alors qu’enfoncer le clou, soutenue en cela par Pierre Gattaz et le MEDEF qui n’en attendaient pas tant d’un gouvernement dit de gauche.

Mais arrêtons-nous brièvement sur les principales mesures de ce projet afin de mieux en saisir les tenants et aboutissants :

- plafonnement des indemnités prud'homales (de trois à quinze mois de salaire selon l'ancienneté)
- modification de la durée du travail (jusqu'à 12 heures par jour et 60 heures par semaine)
- fixation par accord d'entreprise du taux majoration des heures supplémentaires (10 % minimum contre 25 % auparavant)
- instauration des "accords offensifs" en faveur de l'emploi permettant une modulation du temps de travail en vue de la préservation ou développement de l'emploi
- assouplissement des motifs de licenciement économique (notamment baisse du chiffre d'affaires ou des commandes, pertes d'exploitation répétitives ou dégradation de la trésorerie)
- primauté de l'accord d'entreprise sur les autres sources de droit

Voilà donc ce que nous réserve ce gouvernement socialiste. Comment ne pas comprendre alors l’enthousiasme du patronat et, à l’inverse, la révolte et le dégoût d’une grande partie de la population ?
Trahison, écœurement, consternation. Tels sont les ressentis de nombreux militants et sympathisants de gauche. Et je ne peux que compatir à la douleur de tous ces socialistes qui se sentent trompés dans leurs valeurs et leurs convictions. Et en même temps, ce projet de loi n’est-il pas la suite logique des évènements ? Depuis son élection, et plus encore depuis l’arrivée de Manuel Valls à Matignon, François Hollande s’évertue à mener une politique de l’offre et à déployer un ensemble de mesures en faveur des entreprises. Il ne s’agit donc que d’une nouvelle pierre dans le jardin de la social-démocratie dont les mentors se nomment Gerhard Schröder  et Tony Blair.
Plus qu’une nouvelle atteinte à notre modèle, ce projet est une réelle régression sociale qui ne fera qu’aggraver la situation en précarisant davantage notre économie. Pire, celui-ci tend à déséquilibrer encore davantage le rapport de force entre salarié et employeur.
Portée aux nues par ses défenseurs, la "flexisécurité" n’est en réalité qu’une illusion visant à libéraliser toujours plus notre marché du travail. Le code du travail, certes lourd et complexe, ne doit pas être vu comme une somme de contraintes inextricables pour les entreprises mais bien comme un outil qui assure aux salariés un niveau de protection plancher dans une relation de subordination clairement en sa défaveur. Et la primauté donnée aux accords d’entreprise ne fera que renforcer les inégalités en accroissant le pouvoir des employeurs.

Vous l’aurez donc compris, je suis fortement opposé à ce projet qui heurte profondément mes convictions de gaulliste social. Et je ne peux qu’espérer, sans grande illusion toutefois, que le gouvernement prenne conscience de la nocivité de ce texte et décide de le retirer. A défaut, j’implore nos parlementaires de ne pas participer à cette mascarade en votant contre.

Pour conclure, je tenais à réaffirmer que ce projet de loi était une honte pour un parti se revendiquant "socialiste". Pour autant, ce texte a le mérite d’illustrer à nouveau deux thèses que je défends depuis de nombreuses années.
La première est que le phénomène de lutte des classes n’est pas mort. Bien que moins vivace, ou en tout cas moins revendiqué, cet affrontement entre salariat et patronat continue à perdurer dans notre société. J’ajouterais d’ailleurs que le basculement d’une part croissante de notre classe politique en faveur de ce dernier (libéralisation de l’économie et du marché du travail accrue, condamnation de syndicalistes à de la prison ferme …) tend à lui redonner un nouveau souffle.

La deuxième est l’idée que gauche et droite, ou plus précisément UMP/LR et PS, constituent les deux faces d’une même pièce. De fait, ces deux partis sont aujourd’hui quasiment interchangeables et leurs divergences relèvent davantage de la forme que du fond. Pour preuve, de nombreux ténors des Républicains (Copé, Chatel …) se sont félicités de cette réforme du marché du travail. Et on pourrait multiplier à loisir les exemples de convergences (rapport à l’Allemagne, politique étrangère, positions sur l’austérité et les dépens publiques ou les 35h  …). Cet état de fait pose d’ailleurs souci à droite en vue de la primaire pour 2017 car cela oblige les candidats à radicaliser leur discours afin de se démarquer de la "gauche".

Comme disait feu Philippe Séguin, "l’UMP et le PS sont les détaillants d’un même grossiste : l’europe ". Et il est comique, ou affligeant c’est selon, de voir François Hollande mettre en œuvre des mesures autrefois défendues par la droite et conspuées par la gauche. Gageons d’ailleurs que de tels projets n’auraient jamais pu voir le jour lors du précédent quinquennat, sauf à déverser dans la rue des millions de nos concitoyens.
Bref, Sarkozy en a rêvé, Hollande l’a fait …

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