6 mai 2012, François Hollande sort vainqueur de l’élection
présidentielle face à Nicolas Sarkozy (51,64 % vs 48,36 %). Son slogan
d’alors : » le changement c’est maintenant ». Si certains y ont
cru, beaucoup ont vite déchanté face à la cruelle réalité des faits. Comment
parler de changement alors que la politique économique, sociale, européenne …
du nouveau président socialiste s’inscrit dans la droite lignée de son
prédécesseur ?
Hollande, Sarkozy, même combat ? M’étant moi-même largement
gaussé sur le sujet, je ne reviendrais pas ici sur cette dommageable continuité
idéologique.
Mais tout vient à point à qui sait attendre comme dit le fameux adage.
Et s’il aura fallu attendre près de quatre ans après le début du mandat, il
semblerait que le changement pointe finalement le bout de son nez. Ne voyez ici
aucune allusion à ce triste remaniement sans autre intérêt que celui des personnalités
entrantes qui ont sacrifié leurs convictions pour un maroquin. Celui-ci n’est
finalement qu’une mise en œuvre à l’échelle gouvernementale des petits calculs
politiciens réalisés par François Hollande du temps où il était à la tête du
PS. Ou autrement dit, une nouvelle illustration d’un consensus mou ménageant
tout à la fois la chèvre et le chou.
Non je parle d’un vrai changement. Un changement (ou plus exactement
une accélération) digne du tournant libéral de 1983. Alors évidemment dit comme
cela plusieurs évènements viennent à l’esprit mais il sera question ici du
dernier en date, à savoir la loi El Khomri sur la réforme du droit du travail. Projet
qui n’est, in fine, qu’une étape supplémentaire dans la remise en cause de
notre modèle social. Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, avait ouvert la
brèche le premier avec sa loi adoptée par le biais du 49-3. Puis Robert
Badinter, illustre homme de gauche, avait préparé le terrain en janvier dernier
avec son rapport sur le code du travail. La ministre du travail, Myriam El Khomri,
ne fait alors qu’enfoncer le clou, soutenue en cela par Pierre Gattaz et le
MEDEF qui n’en attendaient pas tant d’un gouvernement dit de gauche.
Mais arrêtons-nous brièvement sur les principales mesures de ce projet
afin de mieux en saisir les tenants et aboutissants :
- plafonnement des indemnités prud'homales (de trois à quinze mois de
salaire selon l'ancienneté)
- modification de la durée du travail (jusqu'à 12 heures par jour et
60 heures par semaine)
- fixation par accord d'entreprise du taux majoration des heures
supplémentaires (10 % minimum contre 25 % auparavant)
- instauration des "accords offensifs" en faveur de l'emploi
permettant une modulation du temps de travail en vue de la préservation ou
développement de l'emploi
- assouplissement des motifs de licenciement économique (notamment
baisse du chiffre d'affaires ou des commandes, pertes d'exploitation répétitives
ou dégradation de la trésorerie)
- primauté de l'accord d'entreprise sur les autres sources de droit
Voilà donc ce que nous réserve ce gouvernement socialiste. Comment ne
pas comprendre alors l’enthousiasme du patronat et, à l’inverse, la révolte et
le dégoût d’une grande partie de la population ?
Trahison, écœurement, consternation. Tels sont les ressentis de
nombreux militants et sympathisants de gauche. Et je ne peux que compatir à la
douleur de tous ces socialistes qui se sentent trompés dans leurs valeurs et
leurs convictions. Et en même temps, ce projet de loi n’est-il pas la suite
logique des évènements ? Depuis son élection, et plus encore depuis
l’arrivée de Manuel Valls à Matignon, François Hollande s’évertue à mener une
politique de l’offre et à déployer un ensemble de mesures en faveur des
entreprises. Il ne s’agit donc que d’une nouvelle pierre dans le jardin de la
social-démocratie dont les mentors se nomment Gerhard Schröder et Tony Blair.
Plus qu’une nouvelle atteinte à notre modèle, ce projet est une réelle
régression sociale qui ne fera qu’aggraver la situation en précarisant
davantage notre économie. Pire, celui-ci tend à déséquilibrer encore davantage
le rapport de force entre salarié et employeur.
Portée aux nues par ses défenseurs, la "flexisécurité" n’est
en réalité qu’une illusion visant à libéraliser toujours plus notre marché du
travail. Le code du travail, certes lourd et complexe, ne doit pas être vu
comme une somme de contraintes inextricables pour les entreprises mais bien
comme un outil qui assure aux salariés un niveau de protection plancher dans
une relation de subordination clairement en sa défaveur. Et la primauté donnée
aux accords d’entreprise ne fera que renforcer les inégalités en accroissant le
pouvoir des employeurs.
Vous l’aurez donc compris, je suis fortement opposé à ce projet qui
heurte profondément mes convictions de gaulliste social. Et je ne peux
qu’espérer, sans grande illusion toutefois, que le gouvernement prenne
conscience de la nocivité de ce texte et décide de le retirer. A défaut,
j’implore nos parlementaires de ne pas participer à cette mascarade en votant
contre.
Pour conclure, je tenais à réaffirmer que ce projet de loi était une
honte pour un parti se revendiquant "socialiste". Pour autant, ce
texte a le mérite d’illustrer à nouveau deux thèses que je défends depuis de
nombreuses années.
La première est que le phénomène de lutte des classes n’est pas mort.
Bien que moins vivace, ou en tout cas moins revendiqué, cet affrontement entre
salariat et patronat continue à perdurer dans notre société. J’ajouterais
d’ailleurs que le basculement d’une part croissante de notre classe politique
en faveur de ce dernier (libéralisation de l’économie et du marché du travail
accrue, condamnation de syndicalistes à de la prison ferme …) tend à lui
redonner un nouveau souffle.
La deuxième est l’idée que gauche et droite, ou plus précisément
UMP/LR et PS, constituent les deux faces d’une même pièce. De fait, ces deux
partis sont aujourd’hui quasiment interchangeables et leurs divergences relèvent
davantage de la forme que du fond. Pour preuve, de nombreux ténors des
Républicains (Copé, Chatel …) se sont félicités de cette réforme du marché du
travail. Et on pourrait multiplier à loisir les exemples de convergences
(rapport à l’Allemagne, politique étrangère, positions sur l’austérité et les
dépens publiques ou les 35h …). Cet état
de fait pose d’ailleurs souci à droite en vue de la primaire pour 2017 car cela
oblige les candidats à radicaliser leur discours afin de se démarquer de la "gauche".
Comme disait feu Philippe Séguin, "l’UMP et le PS sont les
détaillants d’un même grossiste : l’europe ". Et il est comique, ou affligeant c’est
selon, de voir François Hollande mettre en œuvre des mesures autrefois
défendues par la droite et conspuées par la gauche. Gageons d’ailleurs que de
tels projets n’auraient jamais pu voir le jour lors du précédent quinquennat,
sauf à déverser dans la rue des millions de nos concitoyens.
Bref, Sarkozy en a rêvé,
Hollande l’a fait …
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