mercredi 12 janvier 2011

Fric, krach et gueule de bois : le roman de la crise

Hier soir, France 2 a diffusé "fric, krach et gueule de bois : le roman de la crise". Présentée par Pierre Arditi (comédien), Daniel Cohen (économiste) et Erik Orsenna (romancier et académicien), cette émission visait à expliquer l'évolution de notre économie mais également à éclaircir quelque peu les mécanismes de la crise que nous avons connue.
 
Je ne pourrai évidemment pas revenir sur l'intégralité du film en question. Malgré tout, je souhaite m'attarder sur quelques points en particulier qui m'ont particulièrement marqués.
Le premier élément concerne le "tournant de 83". Il s'agit évidemment de la parenthèse libérale ouverte (et jamais refermée ?) par François Mitterrand. A partir de cette date, le président de la République de l'époque renonce à son programme socio-économique, cède aux sirènes des marchés et fait le pari de l'europe. Ainsi, celui-ci disait : "la France est ma patrie mais l'europe est mon avenir". L'année 1983 est alors perçue comme une année de trahison et de renonciation. Mais elle symbolise surtout la déception de millions de Français qui attendaient tant de l'arrivée de la gauche au pouvoir. Depuis, on peut remarquer que le fil conducteur des politiques menées par la gauche et la droite est le même. Soumission aux marchés financiers et intégration européenne en deviennent les maîtres mots. Aujourd'hui, rien ne semble avoir changé et on ne peut être que pessimiste quant à l'issue de la présidentielle de 2012.
 
Plus tard dans le film, Pierre Arditi mentionne le trio Friedman - Reagan - Thatcher et considère qu'il s'agit là d'un tournant dans l'histoire économique du monde. Cela est fort possible dans la mesure où ces personnes ont grandement contribué à l'essor de la pensée libérale et au développement de l'économie financière. Pour autant, il serait trop réducteur de les accuser de tous les maux. En effet, il ne faut pas oublier que ces derniers ne sont pas arrivés au pouvoir par magie. De même, leurs politiques ont connu une certaine adhésion de la part de la population et ont tout de même rencontré un succès relatif.
On pouvait également voir dans l'émission que Ronald Reagan et Margaret Thatcher ont chacun fait face à d'importants conflits sociaux, respectivement face aux contrôleurs aériens et aux mineurs. Que ce soit aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, l'issue de ces mouvements est la même : un recul des syndicats et une victoire du gouvernement. J'avoue être partagé entre admiration et consternation en ce qui concerne la gestion de ces contestations. Admiration car ces politiques ont su tenir bon au plus fort de la crise afin de défendre des réformes jugées bénéfiques. Ils ont donc eu le courage de leur opinion, chose que j'apprécie beaucoup. Consternation car, malgré tout, ces dirigeants ont fait preuve d'un certain autisme et d'aucune compréhension, voire même considération, pour les individus concernés par les réformes. On a alors assisté à une nette coupure entre le peuple et ses gouvernants.
 
Quelques commentaires maintenant sur une phrase prononcée par Erik Orsenna : "il existe une déconnexion entre la rémunération et l'utilité sociale". Cette phrase est très juste et le débat est ancien. En effet, qu'est ce qui justifie qu'un (grand) patron soit payé 50, 100 ou 200 fois le salaire d'un ouvrier ? La réponse n'est évidemment pas aisée et là est tout le problème. Alors certes le dirigeant a davantage de responsabilités et crée de l'emploi. Néanmoins, je tiens à rappeler que sans salariés il ne peut y avoir d'entreprise donc de patron. De plus, la question ne se pose pas en termes de légitimité à gagner davantage, car il est normal que le salaire évolue en fonction du niveau de qualification, de responsabilité ..., mais plutôt en termes d'écart parfois astronomique. D'où la nécessité de plafonner les rémunérations.
Mais pour mieux comprendre la pensée d'Orsenna, il convient de comparer la situation du salarié et de l'actionnaire. Alors que c'est le premier qui est à l'origine de la création de richesse, c'est le second qui s'en accaparera la plus grosse partie. On voit alors très bien que l'actionnaire est fortement rémunéré alors que son utilité sociale est quasi-nulle. Cela montre également clairement la coupure qui existe entre l'économie financière et l'économie réelle.
 
Toujours concernant la question de la rémunération, Daniel Cohen nous explique que le "crédit est devenu un substitut de revenu, de pouvoir d'achat". Cette affirmation est particulièrement vraie aux Etats-Unis mais elle reste tout à fait valable en France et plus largement en Europe. En effet, on peut remarquer qu'aujourd'hui le nombre de foyers surendettés tend à augmenter. Cela s'explique notamment, mais pas seulement, par le fait que les gens sont obligés de recourir à l'emprunt afin de joindre les deux bouts. Trois raisons à ce phénomène : des salaires trop bas, des prix trop élevés, un niveau de consommation trop important. Je crois que les trois causes s'entremêlent mais seule la première m'intéresse.
Je pense qu'une hausse substantielle des salaires serait une bonne chose pour les ménages mais aussi pour l'Etat, et les entreprises. D'ailleurs, je ne suis pas le seul à penser cela puisque Patrick Artus (économiste français, directeur de la Recherche et des Études de Natixis) plaide, lui, pour une augmentation de 20%. Malheureusement, notre président ne semble pas du même avis puisque ce dernier a limité la hausse du SMIC au minimum légal soit 1,6%.
 
Pour en finir avec le contenu même du film, il a bien sûr été question avec de la crise économique que l'on a connu mais aussi de la crise de la dette dans laquelle nous nous trouvons. A cette occasion, il a été rappelé que la dette du privé a été transférée au public, c'est à dire aux Etats au travers des différents plans de sauvetage. Cela fiat d'ailleurs très bien écho à l'adage : "privatiser les profits et socialiser/nationaliser les pertes". Je ne vais pas m'étendre sur le sujet tant je me suis déjà exprimé à de nombreuses reprises. Toutefois, je souhaite juste rappeler que les Etats se sont endettés pour sauver le système bancaire et financier. Or on constate que ces mêmes Etats sont violemment attaqués par ceux qu'ils ont sauvés. Cela est tout bonnement incroyable. Aussi, je crois qu'il faut dorénavant adopter des règles similaires à celles de nos adversaires. Concrètement, cela signifie qu'il ne faut avoir aucune pitié et ne pas hésiter à taxer allégrement ceux qui profitent de la misère des autres et qui se gavent sur leur dos.
 
Après le film, France 2 avait organisé un petit débat animé par David Pujadas en présence de Pierre Arditi, Daniel Cohen et Erik Orsenna. En outre, trois invités étaient présents sur le plateau.
Le premier était Xavier Matthieu, le délégué CGT de feu l'usine Continental de Clairoix (Oise) qui a fermé il y a quelques mois. Je dois dire que j'ai adoré l'intervention de ce monsieur tant je crois qu'il est représentatif des Français. Ainsi, ce monsieur a, je trouve, très bien compris le problème et il avait le mérite de ramener les autres intervenants à la réalité du quotidien. Je souscris donc tout à fait aux propos de Xavier Matthieu, notamment lorsqu'il réhabilite plus ou moins le concept de lutte des classes. En outre, j'avoue avoir été touché par l'émotion et la sincérité dégagées par cet homme. A l'écouter on prend immédiatement conscience de la dureté de ce système.
Le deuxième invité était Alain Madelin. Même si je connaissais cet homme politique de nom et de réputation, je ne l'avais jamais vu ou entendu à la télévision. Pour autant, je ne perdais pas grand-chose tant cet homme est dogmatique et caricatural. Je ne pensais pas que l'on pouvait encore de nos jours être enfermé dans une pensée aussi dépassée et obsolète. En fait, Madelin représente tout ce que je déteste dans notre économie. Je m'attarde juste une seconde sur la notion de "destruction créatrice" qui lui semble très chère. Pour rappel, la destruction créatrice désigne le processus de disparition de secteurs d'activité conjointement à la création de nouvelles activités économiques. (Source : wikipédia). Personnellement, je n'ai rien contre ce mécanisme mais si cela se traduit par la destruction d'emplois en France pour en créer en Chine ou en Inde alors cela ne m'intéresse pas du tout.
Enfin, la dernière invitée était Julianne Charton, trésorière du syndicat lycéen UNL. Je dois reconnaître avoir été assez séduit par son intervention, notamment du fait de son jeune âge. Cela montre que les jeunes sont impliqués engagés et concernés par la "chose publique". Néanmoins, on pourrait lui reprocher son manque d'ouverture sur des sujets plus politico-économiques et d'être trop centrée sur des préoccupations lycéennes. De même, je l'ai trouvé quelque peu naïve voire candide dans ses propos.
 
Au final, je suis assez mitigé concernant cette émission. En fait, celle-ci n'apportait rien à quelqu'un qui suit de manière assez régulière l'actualité. De plus, je m'attendais davantage à une émission visant à vulgariser le fonctionnement de notre économie, bref à une sorte d'économie pour les nuls en image. Je crois que cela aurait été plus profitable pour les gens afin de renforcer une culture économique souvent proche du néant.
Malgré tout, il me semble que ce film était assez adapté pour un non-initié, lui permettant ainsi de saisir un peu mieux l'Histoire de notre économie mais aussi les mécanismes de la crise.
Enfin, je terminerai sur la forme après m'être longuement exprimé sur le fond. Je dois dire que l'utilisation d'images d'archive était particulièrement adapté. En revanche les dialogues sonnaient faux et les décors choisis (usine abandonnée, toit ...) ne me paraissaient pas vraiment adaptés.
 
Pour autant, je crois qu'il ne faut pas être trop dur avec ce film. En effet, il s'agit là d'un coup d'essai voire d'un pari puisqu'il est assez rare de programmer une émission consacrée à l'économie à une heure de grande écoute. Il faut donc espérer que l'initiative sera renouvelée prochainement ... mais cette fois-ci en s'attardant davantage sur les mécanismes économiques.

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