mardi 4 août 2015

"Le hareng de Bismarck" de Jean-Luc Mélenchon

Après le bruit de la douche, mes lectures estivales se poursuivent dans un tout autre genre avec "Le hareng de Bismarck" de Jean-Luc Mélenchon. Encore que ces deux livres abordent les thèmes de la politique et de l'Allemagne.

Bien que n'étant pas de la famille politique de Mélenchon, il n'en reste pas moins que j'apprécie le personnage et que je partage certaines de ses positions, notamment sur l'europe. Quoi de plus logique donc que de lire son dernier pamphlet. Car c'est bien d'un pamphlet dont il s'agit. Sur un ton  incisif, vindicatif mais clair, argumenté et sourcé, le leader du Parti de Gauche (PG) nous propose un démontage en règle du soi-disant modèle allemand en nous offrant une vision moins angélique de l'Allemagne.

Partageant très largement le point de vue de Mélenchon et l'ayant déjà exprimé par ailleurs, je n'ai pu qu'apprécier ce livre qui a le mérite de remettre les choses dans leur contexte en dénonçant ce nouvel impérialisme allemand mis en place par Angela Merkel. Même s'il devient difficile voire impossible de blâmer l'Allemagne sans être accusé de germanophobie, il me semble au contraire indispensable de faire preuve d'esprit critique vis-à-vis de ce pays. Et en particulier s'agissant de sa politique économique.

Indéniablement la pseudo réussite économique allemande fait bien des envieux dans notre pays, que ce soit au Parti Socialiste ou chez Les Républicains. De François Hollande à Nicolas Sarkozy en passant par Alain Juppé ou Manuel Valls, tous vantent les vertus de l'Allemagne et souhaitent mettre en œuvre les mêmes recettes chez nous. Clairement, cela n'est ni possible, ni souhaitable.

Impossible tout d'abord car l'Allemagne a adopté un modèle non coopératif basé presque uniquement sur les exportations et notamment  les machines-outils et l'automobile. Avec une demande intérieure atone, la croissance allemande est donc largement tirée par ses exportations qui lui conférèrent certes d'importants excédents commerciaux mais qui nécessite évidemment que d'autres pays achètent ses produits. Le succès de l'Allemagne dépend donc largement de la consommation de ses voisins, dont la France, et s'arrêterait rapidement si ceux-ci venaient à contracter leur demande et à doper leurs exportations. Par ailleurs, le made in Germany tant vanté n'est finalement qu'un enfumage dans la mesure où il consiste en un assemblage de composants fabriqués à bas coût en europe de l'est. Là encore, l'Allemagne remporte la mise aux dépens de ses voisins.

Mais outre les difficultés à reproduire ces facteurs clés de succès, il n'est pas certain que notre pays ait tout intérêt à imiter son allié. Car la "réussite à l'allemande" n'est pas la sinécure que nous vendent nos dirigeants. Et c'est cela que Jean-Luc Mélenchon cherche à nous faire prendre conscience. Deux éléments principaux viennent notamment relativiser ce succès. D'une part, l'augmentation croissante de la pauvreté en Allemagne qui compte aujourd'hui 16 % de sa population sous le seuil de pauvreté (13 millions de personnes). D'autre part, la grande précarisation de l'économie avec le développement des mini-jobs (CDD, jobs à 1 € de l'heure, temps partiel) et plus inquiétant encore la multiplication des travailleurs pauvres (20 % des salariés). D'ailleurs, il est assez surprenant qu'un pays aussi riche et développé que l'Allemagne n'est introduit un salaire minimum que depuis janvier 2015. Celui-ci étant toutefois inférieur au SMIC français (8,5 € VS 9,61 € de l'heure).

Enfin, et pour en terminer sur les aspects économiques, il me parait important de rappeler que la France n'est pas l'Allemagne et que leurs besoins et attentes sont donc différents. L'Allemagne est un pays vieillissant avec une population en baisse (1,38 enfant par femme en 2012 contre 2,01 pour la France). Elle a donc besoin d'une monnaie forte, d'une épargne soutenue et d'excédents commerciaux pour contenter ses retraités ainsi que d'une immigration importante pour compenser la faiblesse de sa démographie. A l'inverse, la France a besoin d'activité économique, d'emploi et d'investissements pour assurer l'avenir des futures générations. Chercher à nier ces divergences et à appliquer une politique commune, notamment au travers de l'euro, est donc une hérésie.     

Mais l'Allemagne n'est pas qu'une puissance économique. Elle est aussi, et c'est un aspect fort qui ressort du livre, une puissance politique de premier plan. Plutôt en retrait après la seconde guerre mondiale, l'Allemagne cherche maintenant à prendre toute sa place sur la scène internationale et plus particulièrement en europe. Si cela n'est pas un problème en soi, cela devient plus délicat lorsque c'est au détriment des autres nations. Or c'est justement ce que tente, avec brio, de faire Angela Merkel en imposant sa politique (l'ordolibéralisme) au niveau de l'union européenne. Et on a pu voir en Grèce ce qu'il en coûte de s'y opposer. Nous sommes clairement aujourd'hui dans une europe allemande dirigée par le tandem Merkel-Schauble. Pire encore, c'est l'ensemble des institutions européennes qui sont gangrenées avec des allemands aux postes les plus stratégiques (direction de la banque européenne d'investissement, direction du mécanisme européen de stabilité, présidence du parlement européen ...). Sans parler de la délégation de la Troïka (BCE, FMI, commission européenne) qui était composé essentiellement de hauts-fonctionnaires allemands. De là à dire que toute l'europe est sous le joug de l'Allemagne …

Alors bien sûr certains avanceront la belle histoire du couple franco-allemand pour relativiser tout cela. Mais il faudrait faire preuve de bien de naïveté ou d'hypocrisie pour y croire. Car malgré les apparences et les discours, le couple franco-allemand est mort depuis bien longtemps. La soumission de nos dirigeants à l'Allemagne (Merkozy et Merkhollande) a conduit à l'éclatement de cette alliance basée sur l'égalité et le respect mutuel et à la prise de pouvoir de la chancelière. Il n'y a qu'à voir comment notre pays se fait sermonner pour s'en rendre compte.

Depuis des années notre pays à renoncer à tout leadership en europe pour rentrer dans le rang et se mettre dans le sillage d'Angela Merkel. Cela n'est évidemment profitable pour personne : ni la France qui y perd son honneur et son influence, ni l'Allemagne qui se voit plus belle qu'elle ne l'est, ni les autres nations européennes qui se retrouvent soumises à la volonté du plus fort.

Cette situation ne peut plus durer. Et il est urgent que la France porte une alternative à la domination de l'Allemagne en europe. Car n'oublions pas que sans la France l'union européenne n'est qu'une coquille vide. Notre pays, très certainement rejoint par d'autres, doit donc mener la fronde afin de lutter contre ce projet européen qui met à mal la démocratie et la souveraineté nationale. François Hollande a laissé passer sa chance dans l'épisode grec. Espérons que nos dirigeants sauront saisir la prochaine opportunité. Car comme disait De Gaulle, "la France ne peut être la France sans la grandeur".

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