mercredi 8 juin 2011

Peter Brabeck : boire ou s'appauvrir, il faut choisir !

Récemment, Peter Brabeck, le PDG de Nestlé, a émis l’hypothèse de créer une bourse de l’eau, c'est-à-dire, en réalité, une place financière sur laquelle les transactions tourneraient autour de l’eau. A l’instar du pétrole, ce marché évoluerait en fonction de la demande. Ainsi, plus celle-ci serait importante, plus le prix d’une unité d’eau (litre, m3 …) serait élevé.
 
Visiblement, Peter Brabeck ne vivait pas parmi nous ces dernières années. En effet, cela semble être la seule possibilité afin de comprendre, voire de justifier, sa proposition. Sans cela, comment concevoir qu’un individu puisse envisager de créer un nouveau marché alors même que ces derniers ont montré leur inefficacité et leur impuissance à l’occasion de la dernière crise économique.
 
Mais cessons de nous moquer de ce pauvre Peter qui n’a fait que tenter de justifier son salaire astronomique en avançant une petite suggestion. Au contraire, cherchons à juger de la pertinence, du bien fondé de la dite idée.
 
Sur le fond, l’objectif est honorable. Qui aujourd’hui refuserait d’économiser l’eau, surtout en ces temps de sécheresse ? Pour autant, la cause, aussi noble soit-elle, ne fait pas tout. Car pour arriver à une même finalité, plusieurs chemins sont possibles. Ici, clairement, le PDG de Nestlé a choisi la voie libérale et capitaliste en privilégiant la solution des marchés financiers.
Ce choix peut se concevoir, notamment pour le dirigeant d’une société internationale. Pour autant, je crois qu’il est nécessaire d’apprendre de ses erreurs pour avancer. Or cet apprentissage Peter Brabeck ne semble pas l’avoir fait.
 
A mon sens, au moins trois éléments font que cette idée n’est pas adaptée, deux relevant du domaine économique et un de l’aspect éthique.
Le premier point concerne la création même d’un marché spécifique à l’eau. Qui dit place financière dit opérateur de marché et dit également spéculation. On peut donc légitimement s’attendre à des effets spéculatifs de grande ampleur, comme cela a notamment été le cas en ce qui concerne les produits agricoles et en particulier les céréales. Cela aura donc pour conséquences d’augmenter le volume de transactions financières mais aussi et surtout de déconnecter complètement le cours de l’eau de sa valeur réelle.
 
Dans le même ordre d’idée, et c’est le second élément, une telle bourse de l’eau conduira inéluctablement à un accroissement des inégalités entre pays, régions et secteurs d’activité qui se traduira par un appauvrissement de certaines populations et de manière quasi-certaine par une répercussion sur le consommateur et/ou le contribuable.
Prenons l’exemple du monde agricole, grand consommateur d’eau s’il en est. Bien que les techniques d’irrigation aient considérablement progressé, parvenant ainsi à rationaliser la consommation en eau, l’élevage et la culture requièrent malgré tout une quantité non négligeable d’eau. Aussi, la mise en place d’une bourse aboutira à une explosion des coûts de revient qui aura pour conséquences un renchérissement des denrées alimentaires mais aussi et surtout une baisse substantielle des revenus des agriculteurs, qui peinent déjà à survivre.
 
Enfin, je crois que ce projet de bourse de l’eau comporte un volet éthique et moral même si ces deux aspects ne sont que peu pris en compte dans le monde des affaires. Accepter un tel dessein revient à considérer que tout à un prix et que seuls les plus riches peuvent s’offrir le meilleur. Cette proposition consiste ni plus ni moins à considérer que l’eau est un produit comme les autres, qui peut-être échanger sans autre contrainte que financière. 
Cela ne me satisfait évidemment pas tant il s’agit d’une marchandisation à outrance d’un élément vital pour l’eau. Car n’oublions pas que c’est bien de l’eau dont nous sommes en train de parler. Il ne s’agit pas d’un quelconque produit technologique ou d’un futile accessoire de mode. Non, il s’agit d’un fluide indispensable à la survie de l’être humain. Il ne me semble donc pas approprié de mettre l’avenir de l’humanité entre les mains d’opérateurs de marché.
 
Pour autant, et même si l’idée d’une bourse de l’eau s’avère mauvaise, il est assurément nécessaire de chercher à rationaliser notre consommation d’eau tout en développant l’accès pour tous à ce précieux liquide. Cela passe notamment par des efforts individuels mais également par un engagement massif des Etats en ce sens. Je pense en particulier à des coopérations avec les nations africaines dans le cadre de transferts de technologies.
 
Aujourd’hui l’eau est un sujet de préoccupation majeur au niveau mondial, ne serait-ce que parce qu’il est la cause de conflits meurtriers. Clairement, la gestion de l’eau potable est devenue stratégique et va tendre à le devenir davantage dans le futur. C’est pourquoi il me semble impératif que cette fonction relève de l’Etat dans le cadre d’une entreprise publique, comme ce devrait également être le cas pour l’énergie.

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